Interview réalisée et écrite par #Elvira, #Debbie, #Swan, #Yuki
Le 12 juillet 2024 marque la sortie de la traduction française du livre Sur la Route de BTS. Cette œuvre, qui explore de façon scientifique le parcours du célèbre groupe musical, a été initialement écrite en coréen par la chercheuse Seok-Kyeong Hong. Pour en savoir plus sur les défis et les choix qui ont accompagné cette traduction, BTS ARMY FRANCE a eu le privilège d’interviewer Jean-Claude de Crescenzo. Sociologue et fondateur des études coréennes à l’Université d’Aix-Marseille, il est aujourd’hui conférencier, auteur et traducteur pour sa maison d’édition Decrescenzo Éditeurs, consacrée à la littérature coréenne.
Est-ce que vous pourriez en dire un peu plus sur la raison de cette traduction, et comment vous en êtes arrivé là ?
C’est amusant ! Quand on a avec soi 250 étudiants, on est à peu près sûr qu’il y en a 180 qui aiment la Kpop et notamment BTS, groupe que je connaissais de nom seulement à ce moment-là, avant la traduction. Par la suite, j’ai regardé quelques vidéos et notamment la chanson Dynamite.
En commençant à m’intéresser un peu plus au groupe, j’ai pensé : « un professeur ne peut pas passer à côté d’un événement comme celui-ci ! » Et particulièrement lorsque nous avions invités, en avril dernier, 30 poètes coréens à l’université de Marseille, et que l’un d’entre eux a parlé des textes de BTS. C’était encore plus épatant pour moi qu’un poète, qui est relativement âgé maintenant, mette en avant BTS. C’est finalement grâce à Franck (Président de « Decrescenzo éditeurs »), qui m’a appris l’achat de Sur la Route de BTS, que l’opportunité de le traduire s’est présentée. On a monté une équipe de traduction avec Tae-Yeon Lee, une native qui fait le premier passage du coréen au français, et ensuite, un réviseur français, spécialiste du texte, qui intervient sur la primo-traduction. C’était l’opportunité de connaître réellement BTS. Et je dois dire que j’ai été rapidement fasciné par le phénomène.
La Corée rayonne sur le plan mondial avec ses industries culturelles que sont les dramas, le cinéma, la kpop, la cuisine… Les tours de force déployés dans ce soft-power en font un objet d’analyse incontournable. Et donc il y a la nécessité pour un enseignant de connaître ce qu’il se passe pour pouvoir en parler avec ses étudiants.
Avez-vous rencontré quelques difficultés dans la traduction ? Par exemple, est-ce qu’il y avait des termes que vous ne connaissiez pas , comme du vocabulaire en rapport avec BTS ?
Ah oui, il y en a beaucoup (rires). Par exemple le mot ‘bias’, je n’en connaissais pas le sens, ni même l’existence d’ailleurs. Une « Idol » d’accord, mais « bias » je ne connaissais pas. Les fameuses couches que la chercheuse, Seok-Kyeong Hong aborde dans le livre, qui sont les techniques marketing de HYBE, je ne connaissais pas non plus. Ce qui m’a d’ailleurs le plus fasciné, c’est le marketing mis en place autour de BTS. J’ai 72 ans, je suis un peu loin de jeunes qui dansent et qui chantent, même s’ils sont mignons, chantent bien, et dansent bien.
L’univers de BTS, cet univers est tout à fait intéressant, voire passionnant, mais j’étais surtout impressionné par la mécanique marketing dans un premier point. Et deuxième point, les ARMYs. Les ARMYs pour moi ça a été la grande révélation.
Aviez-vous une idée de l’organisation de groupes de fans ?
Euh non, je n’en savais rien. Moi, je suis de la génération des Beatles, donc les fans, je connais, les gens qui s’accrochaient aux grilles, les filles qui tombaient dans les pommes à la vue des quatre jeunes hommes, j’ai vu et j’ai connu. Mais il n’y avait pas de système organisé des fans, on aimait ou on n’aimait pas et ça s’arrêtait là. Les ARMYs, c’est à la fois, une entreprise, un groupe de fans et en même temps ce sont des opérateurs. Ce côté opérateur est fascinant. Dans le livre, quand la chercheuse parle de la manière dont les ARMYs se solidarisent pour faire monter un titre de BTS par exemple, je n’avais jamais vu ça.
Ma génération n’était pas du tout faite pour ce genre de système. En fait, ce qui est notamment frappant, c’est l’alliance des réseaux sociaux et des phénomènes groupaux comme les ARMYs par exemple, destiné et dirigé vers un but bien précis. On croit à un groupe de musique, et le groupe de fans s’organise pour structurer, supporter, développer cette croyance. Là-dessus ça a créé toute une collectivité de connaissances et en même temps d’adoration. Parce qu’il n’y a rien de plus de beau que d’adorer à deux, quelqu’un ou quelque chose. Lorsque vous parlez, j’imagine en tout cas, avec une autre ARMY, il n’y a plus que vous deux et BTS au milieu. Il n’y a rien d’autre. Et ça, c’est fantastique, la récréation d’une communauté existentielle autour d’un “objet” qui s’appelle BTS et qui va permettre à la fois des échanges entre les personnes et en même temps un sujet d’adoration commun. Ce qui m’a immédiatement fasciné, c’est justement le fait que ce groupe de fans, intergénérationnel, se réunisse, se structure, s’organise et agisse dans la perspective de donner vie à leur univers.
Quelle est votre opinion après la lecture du livre ?
C’est une mine d’informations. C’est un livre écrit à partir de la naissance de BTS et qui aborde la manière dont 7 jeunes gens vont à la fois travailler dur pour y arriver, parce que j’imagine que la vie des stagiaires dans une agence ne doit pas être amusante tous les jours. Ils sont coupés de tout, de leur famille, de leurs amis, et bien d’autres choses, parce qu’ils vont vers un but. Ce qui se crée au milieu de ce groupe-là, ce qu’on découvre dans le livre, ce sont des éléments de solidarité, d’affection, d’entraide. De Junior à Senior, de grand-frère à petit-frère. Donc des éléments de solidarité, d’entraide et la volonté de rester très près du réel. Quand ils ont fini un concert, ils vont manger un sachet de nouilles, en tout cas, ils ne se montrent pas à aller dans des grands restaurants à manger des grands plats. Donc, il y a un phénomène de proximité qui joue entre les fans et le groupe, et on a parfois l’impression que ce sont tous les ARMYs qui sont sur scène et BTS qui les regardent.
En une seule phrase, ce livre aborde la manière dont le talent individuel et groupal rencontre une machine de guerre marketing, supporté par une communauté très active.
C’est quelque chose que les gens ne remarquent pas forcément, le fait qu’on travaille vraiment tous ensemble vers un seul but. Par exemple, chez BTS ARMY FRANCE, l’objectif est de faire connaître BTS, de les valoriser et cela nous fait très plaisir.
C’est le pouvoir transformateur de BTS. Les ARMYs qui sont, j’imagine la plupart du temps des bénévoles, qui consacrent du temps à leur groupe préféré, sont eux-mêmes entrés dans ce processus de transformation : il y a des petites interviews dans le livre qui témoignent : “BTS m’a sauvé la vie” et j’y crois vraiment.
L’univers coloré des chanteurs ou des objets distinctifs (je vous signale, par exemple, que j’ai une cravate mauve (rires) qui m’a été offerte par une de mes élèves ARMY !), il y a une véritable adhésion entre un groupe et ses supporters en quelque sorte.
Votre regard sur BTS et ses fans a-t-il évolué après la lecture de cet ouvrage ?
Je suis allé sur Youtube et j’ai regardé des vidéos, des concerts. On reste admiratif devant leurs techniques développées. J’ai été fasciné à un moment d’un concert, celui de Wembley. Le fait que le public, dans ce stade de Wembley qui peut accueillir 80 000 spectateurs, puisse reprendre toute la chanson, et pas simplement un refrain ou autre, avec BTS qui sont au milieu les bras ballants. Il y en a même un qui a la larme à l’œil, alors on ne peut pas rester indifférent, j’étais complètement ému. J’ai trouvé fascinante, cette idée selon laquelle le groupe se fait surprendre à se faire déposséder de leur chanson parce que ce sont les spectateurs qui la chantent. C’est un moment complètement fantastique.
Concernant les ARMYs, j’ai été fasciné par eux. Est-ce que j’oserai dire que ça me donne un peu d’espoir ? Que la plupart du temps des jeunes qui se solidarisent autour d’un objet peuvent se solidariser et se réunir autour d’autres sujets comme le climat, la guerre, les injustices sous toutes ses formes, etc. C’est-à-dire, l’idée qu’au fond, dans un monde qui tend de plus en plus à casser toutes les solidarités, qu’un groupe de fans se rassemble pour parler de ce qu’ils aiment, on peut vraisemblablement dire qu’il y a des échanges généreux, des échanges d’informations, des échanges de moments affectifs très forts : c’est beau à regarder et ça m’a énormément touché. Donc, je ne sais toujours pas ce que font les ARMYs dans leurs vies de tous les jours, sauf ce qu’en dit le livre à savoir que lorsqu’il faut organiser une mise avant d’une chanson, lorsqu’il faut organiser de grandes choses, c’est instantané. Une armée se met en marche, pas pour faire la guerre mais pour donner un sens supplémentaire à leur adoration. Et dans cette armée, on dépasse différences de religions, de couleurs de peau, les frontières. Parce qu’il y a un élément fédérateur. Et il se trouve que cet élément fédérateur, il est coréen, qui est mon objet d’étude quand même dans la vie, et ça, comment voulez-vous ne pas rester baba devant ce phénomène ? On ne peut pas y être indifférent.
Nous remercions Decrescenzo Éditeurs, et tout particulièrement Jean-Claude pour nous avoir accordé cette interview.