Un appel à la lecture et l’évasion
Une chronique de Lucie Angheben parue dans Keulmadang.com
Littérature coréenne
Il est des périodes sombres de nos histoires collectives comme individuelles qui jamais ne s’effacent. Les confinements imposés un peu partout dans le monde dans une tentative désespérée de contenir la propagation du coronavirus sont encore frais dans les mémoires. Ils furent pour nombre d’entre nous l’occasion de se (re)plonger dans des ouvrages. Ce livre est né de cet appel de la littérature coréenne, au gré des promenades quotidiennes d’un lecteur et critique passionné.
Dans la lignée d’Un désir de littérature coréenne de Jeong Myeong-kyo, ces Promenades dans la littérature coréenne, surtout contemporaines, proposent des analyses et réflexions sur des textes choisis du canon. Tantôt décortiqués avec précision dans le cadre d’une analyse critique, tantôt effleurés pour susciter
la curiosité et les souvenirs, ceux-ci sont prétextes à une compréhension plus fine de la Corée actuelle comme de sa littérature. On y retrouve au fil des pages les thématiques et auteurs de prédilection de Jean-Claude De Crescenzo.
La première partie, « Mon rival et moi », aborde la question de l’ennemi et de la confrontation à l’autre. Se détachant d’une époque où la rivalité était majoritairement politique, l’auteur se concentre sur des oeuvres récentes qui illustrent un changement de paradigme. Métaphore ou métamorphose, l’opposition se fait désormais avec la modernité et ses affres, ou avec un aspect caché de soi-même. Chez Kim Ae-ran, Apple Kim ou Chang Kang-myung, Jean-Claude de Crescenzo analyse une société où tout va résolument trop vite, suscitant un désir constant pour tant de choses vaines qui rongent les individus de l’intérieur.
La seconde partie, « Le monde d’après », propose une réflexion plus centrée sur l’humain dans sa dimension positive. Entre les œuvres de Lee Seung-U (déjà abondamment traitées dans Ecrits de l’intérieur du même auteur) et de Hwang Sok-yong, en passant par Yi In-seong, sont abordées les questions de l’ouverture à l’autre, de la générosité, et de la manière dont autrui peut aider à se comprendre soi-même, à vaincre la nostalgie, et à s’écrire, encore et encore. Une ode aux villes lentes de Corée, hauts lieux de promenades et de déambulations littéraires, vient clore le recueil.
Entre ces deux parties, des intermèdes poétiques et délicats viennent casser la densité de la critique littéraire et de l’analyse socio-philosophique. Ce sont des moments d’évasion qui chantent l’amour de la Corée, l’amour de la littérature et de l’écriture, la manière dont celles-ci nous accompagnent en toutes circonstances, quitte à nous transporter au-delà de toute vraisemblance, l’espace d’un instant.
À travers ce court essai, Jean-Claude de Crescenzo partage avec ses lecteurs ce qu’il considère comme des clés de compréhension des œuvres citées, mais aussi et surtout, de compréhension de la littérature avec un grand L, puisque les références permettant l’analyse parcourent volontiers plusieurs continents. Et c’est là la force de cet ouvrage : sans s’appesantir sur une critique littéraire trop dense pour le grand public, il s’agit avant tout de pousser au voyage, intellectuel d’abord, littéraire ensuite. Et chacun de se (re)tourner vers les œuvres citées par l’auteur ou ses œuvres fétiches du moment, afin de poursuivre la promenade.
Promenades dans la littérature coréenne
Jean-Claude de Crescenzo
Decrescenzo, 2023, 14€.