La main de Sicile

Un courant de la critique littéraire fait la part belle au texte seul, isolant l’écrivain de sa production. Ainsi le texte, dans l’étalement de son inconscient de texte est lu ans que l’inconscient de l’auteur soit convoqué.  Pourrait-il en être de même avec le travail de l’artiste-peintre ?  Peut-on isoler la main du travail qu’elle produit ? c’est pourtant une rareté que de voir la critique picturale s’intéresser à la main du peintre. Dans le surgissement des plages de couleurs que produit de travail de Cécile Soupama, il y a à sa genèse, une main, reliée à un esprit, à un coeur. Dans la culture chinoise les mots coeur et esprit s’écrivent avec le même caractère.  Mieux même, on considère que chaque organe du corps contient en lui-même une part du coeur et de l’esprit. De multiples travaux dans la symbolique du corps attribuent aux membres une fonction culturelle, voire psychologique. On ne s’étonnera donc pas que la main dispose aussi de ces caractéristiques. La main du peintre dispose au même titre que certaines professions artisanales, cette particularité de représenter le psychisme de son auteur ; le menu du chef cuisinier ou de l’ébéniste d’art pourraient par exemple ; la main de Cécile Soupama est de cette tonalité.

On ne peut la distinguer de sa peinture. Ces plages de couleurs tracées d’une main nerveuse, spontanée n’existeraient pas si la main n’était pas dotée d’un centre nerveux directement relié à son esprit cœur. Vif, alerte, rarement au repos. Elle semble respirer l’air du temps, précis, désinvolte, sûr et fragile, inquiétant et apaisé. Elle ne produira nulle mièvrerie, ne s’attardera pas dans un camaïeu languissant. Dans la série chinoise (Nomen), la main s’est apaisée, elle a trouvé sous les cieux de l’Empire du Milieu le calme qui sied à la méditation. Elle épouse son environnement, la culture millénaire du pays semble s’être infusée dans les doigts qui tiennent le pinceau. Elle s’est assagi, on la devine on le devine sous les aplats denses sous lesquels la matière surgit, on la croirait étalée du tranchant de la main, comme autrefois l’outil du lithographe étalait l’encre sur la pierre. Mais aussitôt apaisée, voilà que la main secoue le pinceau et dépose sur la toile des galets de couleurs, peut être ceux qui aideront à retrouver son chemin dans la forêt des souvenirs. Le retour sur Paris rendit à cette même main la nervosité, seule susceptible de se défendre dans l’univers urbain. La peinture lui répondit. Comment garder son calme quand tout autour de soi le bouillonnement empêche de dormir, empêche de rêver, de partir. Dès la première toile (Tumultes) la main s’est emballée bride sur le cou ; elle étale, éclabousse, graphite, sans réserve. La toile rugit et le canon tonne. La rage a repris le dessus et la main tantôt servile tantôt indulgente a su accompagner le tonnerre quotidien qui assomme la capitale de mille bruits. La main s’est fait matière, aurait pu dire Bachelard. Puis le soleil de Sicile accorda à la main la ductilité seule capable d’apaiser le coeur esprit, et dans les séries siciliennes on retrouve tout le parcours de ladite main, le calme asiatique, la nervosité urbaine pour finalement s’apaiser sans rien perdre de la rage qui est l’essence même de son œuvre. Quand le souvenir vient brouiller les pistes, ne distingue plus le dedans du dehors, la main reprend là où l’histoire a hésité ; La main semble hésite, un instant de confusion, hanté par les souvenirs, elle trace l’œuvre dans la lignée précédente, le rouge témoignant de l’aventure chinoise prendre la parole (Lineament) pour aussitôt s’assagir et laisser place à la couleur d’un expresso sicilien, le vert passé d’une figue de barbarie qui aurait poussé à même la rue. Cette main qui semble s’être isolé du reste du corps, est devenue une réalité, non, son réceptacle, nulle expérience, rencontre, lecture qui n’aille pas infuser dans cette main.


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