Au gré des rencontres à Séoul ou bien à Paris ou à Aix-en-Provence ou encore à Londres, le dialogue avec Lee Seung-u, interrompu par la nécessité du départ, reprend comme un flot continu un bref instant coupé par la distance. À l’occasion de la présentation de son dernier roman publié en France, nous avions à nouveau quelques questions à lui poser
Dans Le chant de la terre, contrairement à vos habitudes, vous abordez une période sombre de l’histoire contemporain de la Corée. Avez-vous ressenti la nécessité d’aborder aujourd’hui une telle période?
Je n’ai pas particulièrement ressenti cette nécessité, mais je pense qu’il est important de comprendre les 3 éléments – la structure politique et sociale, la vie intérieure de soi et le côté transcendantale – qui composent l’être humain. Dans ce roman, en mettant les personnages dans des situations extrêmes, j’ai pensé pouvoir bien démontrer les questions d’existentialisme.
Le chant de la terre
Le Chant de la terre d’ouvre sur un évènement tragique: dans le village du personnage principal, la terre s’ouvre et engloutit les gens et les maisons (La bible Nombre 16:32). C’est à partir de cet évènement que votre personnage va errer à la recherche de sa soeur. Considérez-vous que tout passé doit être englouti pour sans cesse rechercher sa nouvelle voie?
J’ai utilisé ce passage de la bible qui nous transmet un message de châtiment, pour que le personnage (Hou) puisse faire un pas vers le monde extérieur. Je pense que le passé peut être enterré, sans être véritablement enterré. Le présent tente d’effacer et de dissimuler le passé, mais c’est quelque chose d’impossible. Ce qui a déterminé la vie de Hou était son passé.
Dans une interview, vous me disiez regretter parfois votre non-engagement politique. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre engagé?
Honnêtement, je ne me rappelle pas très bien dans quel contexte je l’ai dit. Mais je crois avoir voulu dire que tous mes romans n’ont jamais dépassé l’égo ou le moi, sans vouloir dire que je regrette forcément de ne pas être un auteur engagé. Cela signifierait en fait, mes attentions se tournent vers le moi (l’égo) ou l’existence de l’homme plutôt que vers la société ou l’histoire.
Une littérature non engagée
Or, je ne pense pas que ce roman fait partie de la littérature engagée. J’écris ce type de roman depuis toujours. Parce que je suis conscient du fait que l’égo (le moi) qui est le sujet de mes romans n’est jamais libre et indépendant de la structure politique et sociale. Les personnages de mes romans sont un être social, psychologique et transcendantal.
C’est sans doute, votre livre le plus influencé par la lecture de la Bible. Et comme par hasard, c’est aussi le plus politique. Eglise et Etat, les deux piliers d’une Nation. Avez-vous ressenti cette dualité en écrivant?
Je n’ai jamais pensé que l’Etat et l’Eglise sont les fondements d’un pays. Mais je pense souvent que l’église (croyance) et l’Etat (la politique) sont les deux fondements essentiels qui forment la vie de chaque individu.
Dans votre roman, le personnage erre sans jamais laisser de trace. La seule fois où il va laisser une trace (une carte de visite dans son portefeuille), il va payer très cher (Bastonnade sur la plage). Est-ce que cela a conforté votre vision d’une vie dans laquelle il ne faut pas laisser de trace?
Je trouve cette interprétation unique et singulière. C’est un point auquel je n’ai pas réfléchi en écrivant.
À la lecture de vos livres, je trouve que les espace se réduisent de plus en plus. Particulièrement la chambre… Dans le Chant de la terre, cette chambre est plus que minuscule. Est-ce une métaphore du lieu impossible à vivre?
Je pourrai donner à ces espèces la métaphore de ” le débarras de l’égo”. Je pense, par essence que l’homme est un être solitaire. La maison et la chambre sont les thèmes très important dans mes romans. ElleS symbolisent l’existence. Le fait que la maison ou la chambre des personnages de mes romance est un endroit instable et incertain pousse ces personnages errer. Cela a un lien avec le fait que l’existence de l’homme est temporaire et incertain.
je reviens sur Le Chant de la terre. Avez-vous ressenti la nécessité d’aborder aujourd’hui une telle période ?
Ce roman n’est pas un roman historique. Je n’avais pas l’intention de traiter l’histoire contemporaine de la Corée du sud ou la société actuelle. Mon intérêt est toujours centré sur l’homme qui se trouve dans l’histoire ou dans la société. D’une manière générale, pour faire paraître et souligner les question d’existentialisme, les auteurs mettent les personnages dans des situations extrêmes, par exemple, dans le dilemme de faire un choix. C’est la raison pour laquelle, j’ai choisi la période où le peuple a été dominé par le gouvernement autoritaire.
Dans ce roman, vous mettez en cause la dictature militaire et vous montrez comment un colonel finit par se révolter contre les excès de la dictature. Pourquoi avez-vous choisi ce colonel comme personnage plutôt que le résistance populaire?
Han Jeong Hyo est également un être existentiel, dans le sens où il n’est pas un objet qui ne sais pas réfléchir.
Vous êtes natif du Jeolla-do, une région habituée à la résistance. Bien que vous ayez quitté cette région depuis longtemps, continue-telle de vous influencer ? de quelle façon ?
On ne peut pas ignorer l’influence des contextes et les conditions de l’auteur, comme l’origine de l’auteur. Mais cela ne sera jamais au-dessus du fait que je suis un homme et j’ai fait les études de théologie. L’image de résistance de cette région est lié plutôt à l’histoire sombre de la situation politique en Corée du sud mais ce n’est pas un fondement.
Vous êtes l’un des auteurs coréens les plus édités en France. Vous venez régulièrement à Aix en Provence. Quel rapport entretenez-vous avec la France?
C’est une question qui m’est très souvent posé. J’en suis très reconnaissant, mais en même temps, je suis très curieux de savoir quelles parties de mes romans attirent autant d’attention chez les lecteurs français. Je suis obligé de parler de l’importance du travail des traducteurs. J’ai de la chance d’avoir rencontrer les traducteurs talentueux et passionnés.
Jean-Claude de Crescenzo, 2016