Littérature & Société (Corée du Sud)

La situation de la littérature coréenne en France

publié dans la revue de la Fondation Daesan à Séoul

Entre la traduction de Printemps parfumé et sa publication en France, en 1892 et la publication massive de romans coréens chez Actes Sud dans les années 90 et chez Zulma dans les années 2000, il aura fallu attendre près d’un siècle pour que la littérature coréenne connaisse un véritable essor. Chez Actes Sud, Yi Cheong-jun et Yi Mun-yol eurent les premiers les honneurs de la publication. Ces auteurs des années 60-80 trônent aux côtés de Choe In-ho, Choe In-hun, Kim Seung-ok, Choe Se-hui ou Choe Yun… Considérés parmi les plus grands auteurs coréens (traduits principalement par Choe Yun et Patrick Maurus), ils vont contribuer à changer la représentation de la Corée, pays quasiment inconnu en France, que l’on ne parvient pas à se faire plus exactement, ou alors une représentation bien exotique du pays mêlée de dictature militaire. C’est aussi l’époque où les yeux rivés fixés à notre écran de télévision, nous attendions avec inquiétude l’issue des évènements de Kwangju. Douleur de la partition, guerre, dictatures, pour impitoyables qu’ils fussent, les portraits donnés par ces deux auteurs montraient une littérature surprenante, magnifique, réaliste certes mais d’où affleurait la mythologie coréenne. Hélas, l’absence d’ouvrages d’histoire littéraire et d’oeuvres classiques ne permettait pas d’établir une filiation historique et littéraire, à la différence des littératures chinoise et japonaise, pour lsquelles les ouvrages abondent. Avec la vague de publications chez Zulma Hwang Seok-yong, Yi Sang, Kim Seung-ok, Kim Yu-jeon, (principalement traduits par Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet) confirmaient pour les uns la vision que nous avions de la Corée tandis que les autres apportaient une voix nouvelle : Lee Seung-u et Eun Hee-kyung s’inscrivaient dans cette filiation. Chez ces deux éditeurs, la littérature coréenne représente approximativement une soixante d’ouvrages, en 25 ans, soit environ 2 livres en moyenne par an et par éditeur. Auxquels il faudrait rajouter la trentaine d’ouvrages publiés par Picquier depuis 2003, soit là encore, 2 livres par an, en moyenne.

Entretemps, d’autres maisons d’édition publièrent des romans ou des essais, au « coup par coup ». La production qui suivit confirma le caractère réaliste de cette littérature.

Les romans publiés entre 1980 et 2000 eurent, pour certains d’entre eux, un franc succès. Au-delà de l’effet exotique, l’effet de mode ou de curiosité,  ces romans montrèrent une littérature vivante, originale et singulière.

Le choix des œuvres

Si l’on s’en tient uniquement à la période contemporaine (soit à partir des années 90, période de traduction en série du coréen en France), on observe un net déséquilibre dans l’introduction des œuvres littéraires dans les deux pays concernés. En France, les auteurs traduits en série, c’est-à-dire au moins 3 livres (je ne considère donc pas les traductions isolées, indépendamment de la qualité des œuvres) à cette époque sont Yi Munyol (1990), Yi Cheong’jun (1991) et Hwang Sok Yong (2000 à 2013). Ces auteurs ont permis de découvrir la littérature coréenne sous un angle qui nécessitait souvent une bonne connaissance de l’histoire de la Corée pour découvrir la portée réelle de leurs œuvres. Ce fut très probablement le point d’entrée mais aussi le point de blocage pour la réception de la littérature coréenne. Les nombreuses références historiques auxquelles le lecteur devait faire face pour comprendre le roman ont sans doute constitué un frein au développement de cette littérature. Un deuxième niveau apparaît avec des auteurs comme Lee Seung-u (de 2000 à 2014), Kim Young-ha (de 1998 à 2012), Eun Hee-kyung (de 2000 à 2014) Shin Kyung-sook (2008 à 2010). À cette même période, les jeunes auteurs actuels font leurs premières armes dans l’écriture de nouvelles ou bien sont étudiants à l’université dans les départements de création littéraire. Les contenus littéraires produits par  ces jeunes auteurs s’écartent de ce que les français avaient l’habitude de lire en matière de littérature coréenne. La rupture autant stylistique que narrative des jeunes auteurs ne ressemblent évidemment pas aux contenus proposés par leurs aînés. L’investissement dans la narration, qui puise à la source des angoisses modernes, se place dans un contexte plus large de la mondialisation des thèmes littéraires.

La transition est brutale. La société de consommation de masse qui commence véritablement dans les années 90 prend de court la littérature. Tandis que la « fin » des idéologies s’installe, apparaissent une nouvelle génération d’auteurs et une nouvelle génération de thèmes traités. Avec la fin des idéologies et l’avènement du post-modernisme, ce n’est plus la question de la littérature, telle qu’elle fit l’objet de controverses, qui se place au centre des débats. Entretemps, l’univers littéraire a changé ; les débats sur la valeur et l’usage de la littérature ont laissé place à une nouvelle conception de l’œuvre écrite, ainsi qu’au nouveau statut d’auteur.

Ce n’est qu’à partir des années 2010 que l’on voit les jeunes auteurs coréens être traduits et publiés en France. Kim Ae-ran, Kim Un-su, Kim Jung-hyuk, Pyun Hye-young, Han Yu-joo… prennent place sur les rayons des libraires. Ils succèdent à Yi Cheong-jun, Yi Mun-yol. De la sorte, la représentation du monde littéraire coréen s’effectue majoritairement au travers des auteurs des années 70-80 ou bien de la jeune génération. Certes, il existe des classiques coréens traduits, poésie ou romans, mais sont-ils suffisants pour constituer un panorama de la littérature coréenne ? Quant aux auteurs en sciences humaines, ils sont quasiment absents du paysage français, bien que, coup sur coup, viennent de paraître en France trois ilivres d’un philosophe coréen, enseignant en Allemagne[1].

Le genre

La nouvelle, genre majeur en Corée par lequel tous les écrivains débutent, est un genre délaissé en France depuis de longues années, malgré la tradition de grands nouvellistes que furent par exemple Guy de Maupassant, Marcel Aymé ou Honoré de Balzac. La critique littéraire s’y intéresse peu, tout comme la presse, et les libraires rechignent à vendre ces recueils, tandis que les prix littéraires consacrés à la nouvelle sont peu abondants et peu importants. Les  revues consacrées à ce genre sont peu nombreuses et il y a désormais bien longtemps que la presse ne publie plus de feuilletons littéraires. La nouvelle n’est pas le genre littéraire par lequel débute un auteur. Tout au contraire, le « premier roman » d’un auteur constituerait presque un genre en soi ; le monde littéraire consacre ce premier roman comme la clé d’entrée dans la carrière littéraire.

En Corée, nous assistons au phénomène inverse : les jeunes auteurs commencent par la nouvelle et sont reconnus pour leur talent exercé dans ce genre. Les journaux publient des nouvelles, les prix littéraires consacrent le nouvelliste et les éditeurs choisissent leurs auteurs en fonction de ce talent démontré. Contrecoup inévitable, le passage de la nouvelle au récit long (roman) représente souvent une difficulté majeure pour les auteurs coréens, plus à l’aise dans le format littéraire court.

Ainsi, il existe une certaine difficulté à imposer en France un auteur coréen par ses recueils de nouvelles, même, si pour notre part (Decrescenzo éditeurs) nous avons publié en deux ans 8 recueils de nouvelles et nous nous apprêtons à en publier encore 6 dans les mois à venir et les ventes sont très satisfaisantes, dans le contexte contemporain, bien entendu.

La situation de la littérature coréenne aujourd’hui

La littérature coréenne reste une littérature méconnue et les libraires peinent à la vendre. Certes, celle-ci a connu un engouement à ses débuts dans les années 90-2000 (découverte, surprise, exotisme, qualité des œuvres…). Mais dans le contexte d’affaiblissement de la lecture, les libraires, selon les visites que nous effectuons régulièrement (une centaine tous les 3 mois) avouent peiner à parler de ces livres, qui souffrent d’un défaut de visibilité lié à une autre question dont je souhaite parler plus après.

Certains auteurs dans les années 2000 à 2010 eurent un succès remarquable (Hwang Sok-yong, Lee Seung-u, Kim Young-ha). Les ventes donnèrent un grand espoir et donnèrent l’illusion que la progression était engagée. Mais peu à peu, les ventes de littérature coréenne fléchirent et le nombre de titres publiés aussi. A peine pouvions-nous compter une dizaine de romans et recueils de nouvelles publiés en 2009 et 2010. C’est l’une des raisons qui nous ont décidé à créer une maison d’édition spécialisée en littérature coréenne. En effet, le comité directeur de la revue Keulmadang faisait le constat que le nombre de titres publiés, trop faible, mettait en danger la revue dont l’une des missions était de rendre compte des parutions. 

Dans le courant généralisé de baisse du tirage moyen, il était prévisible que les ventes d’un titre coréen accompagnent cette baisse. Il est désormais de plus en plus fréquent, et il est possible que cela devienne la moyenne contemporaine, que des titres des auteurs, y compris les plus connus, ne se vendent plus qu’à trois ou quatre centaines d’exemplaires.

Tandis que certains auteurs français vendent leurs livres en Corée à des millions d’exemplaires, la littérature coréenne peine à se faire une place en France. La différence de traitement de ces deux littératures intervient pourtant dans des contextes nationaux presque identiques : baisse de la lecture en général, baisse de la lecture « lettrée » au profit de la lecture « détente », déclin du pouvoir symbolique du livre.

La dernière enquête parue sur l’édition et la lecture en France (source Electre, 2014) montre un net recul des traductions des langues d’Europe Centrale et d’Asie, à l’exception du Japonais, qui progresse à 11,8% contre 8,8% en 2011. Effet manga bien entendu, tandis que deux maisons d’édition spécialisées dans le manhwa ont fermé leurs portes ces trois dernières années. La langue anglaise frise les 60% de traductions. Les 5 langues les plus traduites représentent en 2014 85% de toutes les traductions. L’allemand, le chinois, le coréen et l’espagnol sont les langues qui reculent. Les chiffres de traductions sont indiqués comme étant « non significatifs ». Le coréen est estimé à hauteur de 0,3% des traductions. Et ce, malgré les efforts importants de deux fondations qui soutiennent la traduction, le Klti et la fondation Daesan.Pour entrer dans les chiffres statistiques du SNE, il faudrait traduire environ 90 romans par an.

Si la réception d’une lecture dépend pour beaucoup des représentations que l’on se fait du pays qui la produit, celle-ci dépend aussi de la présence et du poids des médiateurs de lecture, ceux qui sont chargés de sa traduction ou de sa diffusion, de sa critique ou de son enseignement.

Au-delà des questions de traduction, importantes certes, mais non déterminantes, il convient de se pencher sur une question importante : Quels sont les textes coréens qui parviennent en France ? Comment sont promus les textes et les auteurs ? Si les relais les plus classiques de promotion (librairie, presse) n’assurent plus la même visibilité qu’auparavant des textes et de leurs auteurs, faut-il repenser la réception des œuvres ? Tout particulièrement, la réception des œuvres non commerciales ?

Enfin, une autre question nous occupe et elle est probablement la plus importante : le déclin du pouvoir symbolique du livre. Ce n’est pas se réfugier dans le clan des alarmistes que de vouloir, en tant qu’enseignant, s’interroger sur le sens de la littérature aujourd’hui, et tenter de penser, sinon l’avenir, du moins les années proches, années pendant lesquelles la lecture d’œuvres de fiction va certainement connaître une nouvelle destinée.

La lecture aujourd’hui

Un élément rassemble aujourd’hui nos deux pays : l’affaiblissement de la lecture de livre et plus encore l’affaiblissement de la lecture lettrée au profit de la lecture de divertissement. Les statistiques en ma possession sont de ce point de vue alarmante. Le lectorat français baisse, la part des « gros lecteurs » baisse (en France, il a même fallu abaisser le standard qui qualifiait les gros lecteurs. Il est passé de 25 livres par an à 20 livres par an). Les jeunes lisent de moins en moins de livres (il suffit de s’en apercevoir dans nos universités) tandis que les retraités eux aussi lisent moins souvent qu’auparavant. Comme le dit un ami écrivain : Les gens ont trouvé mieux à faire que lire des livres. Pire que les statistiques de lecture, le constat frappant de la perte du pouvoir symbolique du livre. Ce dernier n’est plus un facteur de distinction (Bourdieu) et n’est plus apprécié comme un élément de réussite dans les études et dans la vie en générale. La conception utilitariste de la culture et une vision technico-économique du monde ont sans doute accéléré le processus de désacralisation du livre. La situation dans les deux pays se ressemble.

Dans une enquête coréenne sur les loisirs (source KPA) la lecture est classée 4e loisir préféré des adultes (mais avec 6,9% contre 27% à la télévision), 3e loisir préféré des écoliers, 6e loisir des collégiens et 9e loisir préféré des lycéens.

71, 5 % de coréens adultes disent avoir lu au moins 1 livre l’année de l’enquête. La moyenne de lecture est de 9 titres par an environ. La lecture de livres est en baisse autant en Corée qu’en France. Il s’est perdu en 10 ans entre 4,5 et 5% de lecteurs dans les deux pays. En France, en 1973, 22% des plus de quinze ans lisaient au moins 25 livres par an. En 2012, le chiffre est tombé à 11%.

La baisse de la lecture lettrée (on lit moins les classiques et les grandes œuvres) se fait au bénéfice de la lecture « de loisir », celle qui demande un engagement moins fort du lecteur, une mémorisation moins importante de l’œuvre, un processus allégé de transformation individuelle (qui est le propre de la littérature) au profit d’une lecture de loisir, plus immédiatement accessible mais conférant malgré tout à ces lecteurs un statut symbolique aussi fort. Deux auteurs français représentatifs de ce qui précède réalisent des ventes impressionnantes en Corée avec respectivement 1 million et 1,2 million d’exemplaires, des ventes identiques à la France.

La lecture et les jeunes

Les jeunes de 15 à 24 ans lisent toujours autant, sinon plus, mais de moins en moins de livres. Les chiffres ont de quoi inquiéter. Les adolescents déclarent ne « presque jamais lire un livre, tandis que les étudiants avouent lire seulement dans le cadre des études. Une enquête anglaise souligne même que 17% des adolescents anglais se déclarent « honteux » d’avoir été surpris un livre à la main[2]. Un grand acteur français, Jean Rochefort, vient de publier une vidéo dans lesquelles il commente Madame Borary de Flaubert avec le langage et la syntaxe des jeunes français. C’est à la fois hilarant et nous plonge mystérieusement dans une angoisse profonde.

La promotion des œuvres de la littérature coréenne.

Dans ce contexte défavorable, bon nombre de médiateurs du livre insistent sur la nécessité de promouvoir les œuvres de la littérature coréenne, et font généralement référence à la place de  la presse dans ce travail de promotion. Hors la presse, point de salut. Dans l’entonnoir du goût contemporain (tout le monde parle de ce qui se vend le mieux) les littératures minoritaires ou les livres d’accès plus difficile n’ont pas les faveurs de la presse. Une autre raison peut expliquer le déclin du pouvoir prescriptif de la presse : le lectorat vieillit et en vieillissant, expérience à l’appui, il éprouve moins le besoin d’avoir recours à la presse pour se forger un goût et une opinion sur ce qu’il doit lire. Très souvent, il fréquente une librairie attitrée et se fie plutôt aux recommandations de son libraire qu’à celle de la presse. D’autres médiateurs invoquent la nécessité de diversifier les actions envers les médias. Si en effet la presse spécialisée est moins prescriptrice que par le passé, si en effet les lecteurs avisés ont moins besoin de la presse pour faire leur choix, le recours à une diversification de la presse est souhaité. Ainsi, on voit apparaître des actions envers les journalistes de la presse féminine (le lectorat est plutôt féminin, nous le savons) envers la presse pratique ou spécialisée. D’autres enfin invoquent l’éternelle absence de Nobel pour trouver « une locomotive » susceptible d’améliorer le sort de la littérature coréenne en France.

D’autant que les libraires adoptent désormais le stockage minimum et retourne plus vite que par le passé un livre qui ne se vend pas. Bien entendu, les livres poussés par des politiques marketing agressives et dont le stock va tourner plus facilement présentera aux yeux du libraires une grande vertu. Le tout bien entendu, est indépendant de la valeur littéraire du titre. Mais la presse est moins prescriptive que par le passé. Il se publiait en France et en 2013 66530 livres par an, soit environ 5500 livres par mois. Une petite centaine aura les honneurs de la presse, tous supports confondus, et sur cette centaine, les titres qui se vendent le mieux seront les mieux placés. À noter certainement le travail des blogs littéraires ou des blogs de lecteurs qui font un travail de promotion non négligeable des livres.

Est-il concevable de penser que dans le contexte d’affaiblissement de la lecture, les actions de promotion envers la presse seraient suffisantes pour trouver un autre lectorat que le lectorat de plus en plus vieillissant (il est frappant de le constater dans les salons du livre auxquels nous participons).Tout particulièrement pour la littérature coréenne ? S’il n’est pas question de nier le rôle des médias dans le succès d’un livre, il nous faut se poser d’autres questions. Il a été publié en Corée l’an dernier 531 titres français, tandis qu’en France, le nombre total d’ouvrages coréens était de 57. En partant du principe que la littérature coréenne en France souffre de ce déficit de connaissance et de reconnaissance, nous avons estimé que la promotion d’un livre ne pouvait se passer de la promotion d’une littérature. C’est le choix que nous avons fait à Aix-en-Provence.

À ce point de l’article, et avant de parler de l’expérience aixoise, je voudrais résumer ce « qui m’habite et qui m’obsède » comme disait Aragon. Nous sommes entrés dans une période nouvelle où probablement la lecture de livres et la lecture lettrée, la seule qui m’intéresse, deviendront minoritaires et sans doute élitistes.  Rassurons-nous : on lire toujours et toujours des livres. Mieux même, il semblerait qu’en France, le marché du livre reparte à la hausse, ce que l’on n’avait pas vu depuis de nombreuses années. Mais quels livres se lisent ? La France et la Corée pourront toujours s’enorgueillir de leurs grands auteurs. Mais demain ?

Considéré comme moyen d’accès à la culture et de reconnaissance sociale, le livre cède peu à peu sa place. Lorsqu’on ramène ces considérations à la littérature coréenne, j’affirme que se préoccuper du sort des livres passe par un autre type de travail, plus littéraire qu’éditorial, ce travail visant à faire découvrir une littérature dans son intégrité, dans sa totalité, pour en dégager son essence et ses différences.

L’expérience aixoise

Cette réflexion nous a conduit à penser de manière différente le rôle de médiateur du livre que sont tous ceux qui travaillent à faire connaître une œuvre littéraire : auteurs, traducteurs, critiques, journalistes, éditeurs, libraires, etc. Mais, au vu de ce qui précède, les conditions d’exploitation de l’œuvre littéraire sont entrées dans une phase de mutation que certains observateurs jugent durable. Les relais traditionnels (la presse notamment) joue un rôle bien moins prescripteur que par le passé, tandis qu’une nouvelle génération de bloggeurs occupe une place importante. Par ailleurs, parler d’un livre ou d’un auteur ne suffit plus à leur reconnaissance ; ce travail de promotion doit, à nos yeux, et en ce qui concerne le cas de la littérature coréenne, prendre une orientation nouvelle.

Depuis une dizaine d’années, est menée à Aix-en-Provence une expérience originale de traduction et de diffusion de la littérature coréenne, travail quasi-exclusif, qui m’occupe à plein temps, que pour les besoins de cette conférence, je nomme : le travail littéraire.

Profitant de la bonne santé des études coréennes à l’Université Aix-Marseille et des actions à succès que nous menons dans la promotion des auteurs coréens et tenant compte de ce qui précède, nous avons pensé que sans un travail de commentaire de la littérature coréenne, les actions de promotion, au sens habituel du terme, n’auraient qu’une efficacité limitée. Notre première action a consisté à créer une revue de littérature coréenne sur Internet : Keulmadang (글마당 www.keulmadang.com). Choix dicté par l’absence de moyens financiers certes, mais aussi illustratif de notre souhait de gagner des lecteurs de blogs ou de simples passagers sur Internet. Au bout de 6 ans, nous sommes plutôt satisfaits du résultat avec 35000 lecteurs annuels dans 65 pays et une durée de consultation de nos pages très bonne suivant les spécialistes, un peu moins de 5mn. Une vingtaine d’étudiants collaborent régulièrement à la revue ainsi qu’une dizaine de collaborateurs occasionnels. Tous — nous tous, travaillons bénévolement.

UNE REVUE DE LITÉTRATURE CORÉENNE DANS LES LIBRAIRIES FRANÇAISES

La revue sur Internet vient de voir la naissance de son grand-frère (!) puisque Keulmadang est aussi maintenant diffusée en version papier dans les librairies et selon l’avis de notre diffuseur Le Seuil, les résultats sont plutôt encourageants. Mais parler des livres sans pouvoir parler de la littérature nous a paru incomplet. En effet, la littérature coréenne ne pourra se développer que si nous connaissons sa généalogie, son histoire, son ancienneté, ses débats, qui n’ont rien à envier à ses homologues japonais ou chinois. Mais il ne suffit pas de parler des livres pour atteindre notre objectif. Il faut pouvoir parler de la littérature, c’est à dire parler des œuvres d’un point de vue critique. Ainsi, nous allons publier à partir de la rentrée, quatre monographies d’une soixantaine de pages chacune. Elles aborderont une œuvre, un auteur. Sont déjà prévues les monographies de Yi In-seong, Eun Hye-kyung, Hwang Sok-yong, Lee Seung-u. De la même manière, chaque auteur qui vient à Aix-en-Provence, depuis un an fait désormais l’objet d’un film documentaire. Un documentaire sur Eun Hee-kyung est en ligne sur You Tube, un documentaire sur Jung Young-moon est en cours de montage, tandis que nous venons d’achever un documentaire sur Han Yu-joo. Par ailleurs, chaque fois que nous organisons un forum littéraire à Aix, nous filmons la rencontre. Ainsi sont présents sur You Tube Pyun Hye-young, Kim Jung-hyuk, Han You-joo, Kim Ae-ran, Kim Young-ha, Lee Seung-u, et bientôt Jung Young-moon…

Par ailleurs, nous venons de créer sur internet un Centre de Ressources Littéraires sur la littérature coréenne. Celui comprend des fiches auteurs, des films documentaires, et les monographies présentées plus haut. 80 courtes biographies d’auteurs sont déjà prêtes. Enfin, en 2012, constatant que l’édition de romans coréens faiblissait (8 titres par an) nous avons décidé de financer la création de notre maison d’édition consacrée à la littérature coréenne. En un an, nous avons publié 13 titres, 16 au total d’ici la fin de l’année et nous en publierons 10, l’an prochain. De la sorte, l’an dernier, nous avons publié plus de titres que tous les autres éditeurs français réunis.

En conclusion, je prends le parti d’affirmer que la situation de la littérature coréenne en France, si elle souhaite un jour suivre les voies de la littérature française en Corée, doit faire l’objet d’une attention qui dépasse la seule promotion des livres, dans un contexte d’affaiblissement de la lecture. Un grand critique littéraire Jeong Gwari affirme : Il faut du désir pour la littérature coréenne. Oui, il faut du désir et il faut aussi de l’Amour. Ce travail de commentaire, de critique, de publication, de mise à disposition de ressources littéraires, d’enseignement, de traduction, de mises en valeur du travail des éditeurs, je le nomme travail littéraire, au sens où le mot travail signifie aussi : qui sert à transformer une situation.


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