L’âge venant

Un des privilèges de l’âge venant est la liberté que l’on s’accorde à parler de ce qui nous anime, sans souci aucun de stratégie, de plan de carrière, ou de raison à garder. Un autre privilège, et non des moindres, est de s’être acquitté une vie durant des principales dettes contractées, au rang desquelles les dettes littéraires ne sont pas des moindres, concentré dorénavant sur les dettes secondaires, non qu’elles soient moins importantes, mais arrivées plus tardivement, quand une bonne partie de notre vie est déjà accomplie.

Dans son journal des années 80-90[1], Charles Juliet affirme que le discours de l’écrivain ne doit jamais se séparer de l’une des quatre parties de la personnalité : la personnalité physique, la personnalité émotionnelle, la personnalité intellectuelle et la personnalité spirituelle. Ce qui vaut pour l’écrivain vaut pour chacun. Les composantes « molles » de nos personnalités se regroupent aisément dans une forme de subjectivation que j’aime appeler le Sentiment, cette forme de l’état affectif qui nous laisse ouvert devant la nouveauté, disponible, aimant, si nous considérons que l’amour est le but premier et le but ultime de toute recherche, celle-ci pouvant d’ailleurs se parer de multiples artifices, par crainte d’un excès de sensibilité. On aura compris que  le Sentiment auquel je fais allusion est le fil qui relie les quatre dimensions de l’individu auxquelles fait allusion Charles Juliet.

Tout texte est d’abord un inachevé, propre à offrir au lecteur la faculté de le prolonger d’un examen critique, par la pratique même de l’écriture. L’écrivain, le romancier, ne tient jamais indéfiniment la main de son lecteur. Et le lecteur aura toujours l’arrière-goût d’inachevé, une fois le  livre refermé. Sa deuxième nuit commence. Pendant laquelle il réécrit mentalement le livre lu et parfois en écrit un autre.

Cet ouvrage présente la bizarrerie de vouloir reporter fidèlement les émotions qui m’ont envahi à la lecture d’un livre, à la croisée d’une rencontre, à la réminiscence de souvenirs, à l’écriture d’articles,  jazzifiant[2] ainsi un écrit qui aurait couru le risque du monolithisme. La lecture n’est au fond que débat avec soi. Et ce débat n’a d’autre objectif que nous aider à nous transformer. Un livre qui ne ferait pas ce travail sous-terrain de reconstruction doit être oublié. Ces livres, je les ai rencontrés, aimés, relus, travaillés parfois jusqu’à tenter de les épuiser, sans succès évidemment, dans une ultime pirouette, le texte ne se livrera jamais complètement


[1] Charles Juliet, Accueils, Journal IV, 1982-1988, POL, 1994

[2] David Shields, De réel, un manifeste littéraire, Au diable vauvert, Vauvert, 2010


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