À l’ombre des monastères

Je m’assigne au passé, seul endroit vivable.

J’aime les monastères de la chrétienté pour la lourdeur des secrets qu’ils renferment. Le temps appesanti par le silence des lieux vide le destin du sens auquel il prétendait. Étiré d’espérances disparates, le temps attend la mort dans l’obscurité, une obscurité qui n’est pas le contraire du clair soleil mais la condition derrière laquelle se cache le non dicible : la possible inexistence de Dieu. Le secret originel dissimulé par le péché originel de deux êtres qui furent les premiers d’une longue suite de manipulations perverses. Voilà pourquoi la lumière n’entre jamais dans les monastères de la chrétienté. À l’opposé, les temples d’Asie n‘osent jamais leur part d’ombre, le clair soleil fusant des ouvertures voilées de papier de riz auquel la couleur blanche donne l’illusion d’une puissante opacité. En réponse muette au bénédictin encapuchonné, le moine au cou dégagé affiche une bouille rondouillarde qu’un sourire ne quitte pas. Car le secret des moines bouddhistes ne s’accomplit jamais avec la complicité du prosélyte, son lointain cousin, le prêtre ayant ravi à jamais les occurrences du mensonge.

Le roman Le nom de la rose, d’Umberto Eco fascine par la complexité de son intrigue, sur fond de désaccords eschatologiques. Traversant l’espace du monastère bénédictin, guillaume de Baskerville, le personnage principal du roman traîne avec lui l’ombre utile au mystère. Chaque pas est lourd d’effroi, chaque geste lourd de sens. Lentement, l’espace ombreux se soustrait à l’intrigue, s’efface du décor et opte pour une identité singulière. Il devient l’acteur principal, surplombant le texte, l’intrigue, les protagonistes, le but même du roman. L’ombre des monastères abrite les secrets de l’écriture originelle. Pour Pascal Quignard, ils ont sauvé l’Occident, qu’ils aient abrité l’écrit divin ou blasphématoire. Il faut un Guillaume de Baskerville pour aller de l’un à l’autre d’un pas léger, traversant els ombres soudain devenues amies. L’ombre est la condition de l’intimité dans laquelle les plus noirs desseins sont mis à jour sans que la lumière en pâtisse.

Les églises, les cathédrales aux autels cyniques de richesse ne m’ont jamais procuré plus d’émotions que les presbytères des églises miséreuses, ourlés de panneaux plaqués de chêne des bureaux de notaire. Circulent entre les lamelles, ressortent par les trouées creusées de paroles qui jamais n’atteignent l’autel. L’orgue sonne et couvre les voix du dévoilement espéré. Rien ne filtrera des tapisseries empesées du silence des prêtres. La survie de l’Église est à ce prix. L’étole et la chasuble, et le voile huméral tissent le linceul de la vérité. Jamais, il n’aura été aussi difficile de savoir qui du prêtre ou de l’assemblée protège le mieux le secret originel.

La croyance récupérée et dévoyée par les églises de tous ordres a toujours été au centre des mythes fondateurs de l’humanité. Sans elle, nul espoir. Nulle identité. Elle nous aide à lutter contre l’idée (et non pas l’angoisse) de mort, sans laquelle la philosophie serait impossible. C’était bien l’idée des Romantiques, de s’opposer à la Raison par l’expression du sentiment, par l’introduction du fantastique, voire du fantasque. C’était bien l’idée de l’exacerbation du vivant. La pulsion de vie qui anime les êtres est la même croyance en votre rayon de soleil, en ma forme des nuages. Débarrassé du sentiment religieux nous cédons au mystère divin. Voilà sans doute pourquoi, depuis notre naissance, le plus beau est à venir.


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